Un Parcours signé REMY VAN DEN ABEELE

Focus ÉTÉ 2016

Remy Van Den Abeele au Musée des Beaux Arts

Salle d'exposition du PBA
1 Place du manège 6000 Charleroi

+ 32 71 86 11 34 - 35
mba@charleroi.be
www.charleroi.be

OUVERT
du mardi au vendredi : 9.00 - 17.00
Le Samedi : 10.00 - 18.00
Le 1er dimanche du mois : 12.00 - 18.00
Le dimanche 11 septembre 2016 : 12.00 - 18.00
Fermé les lundis, dimanches et jours fériés

L'exposition est visible jusqu'au 11 septembre

Rémy Van den Abeele, un peintre carolo aux cimaises du PBA -Reportage sur Télésambre ICI




Van den Abeele et les Surréalistes

Si l'histoire belge prend parfois des accents surréalistes, c'est que sans doute le surréalisme est une histoire belge. Une histoire d'amour aussi et même plutôt compliquée. D'amour…, il faudrait d'ailleurs nuancer, ce qui est certain, en tout cas, c'est que la Belgique joue si bien dans le camp du surréalisme que l'on ne doit pas s'étonner de le cueillir dans les endroits où on l'attendrait le moins. Ainsi, au Musée de la Famenne, à Marche, des toiles de Remy Van den Abeele accueillent-elles le visiteur entre deux salles consacrées aux Mérovingiens ou au Maître de Waha. À vrai dire, un tel voisinage ne serait pas pour déplaire à un tenant du surréalisme dont les emballages ou les mises en situation décalées constituent tout de même une partie du fonds de commerce.

Révolution née de la première guerre mondiale, le surréalisme n'aura eu de cesse de bousculer des positions artistiques qui semblaient assurées, mais aussi de remettre en question, c'est bien le moins, les idées qui asseyaient son propre fondement: «Transformer le monde», «changer la vie», par une objectivation du désir, force toute-puissante et capable de susciter tous les miracles1. Pour une fois, par une ironie du sort qui ne pouvait décidément se développer que dans ces circonstances très précises, voilà en tout cas une école littéraire qui peut se targuer d'avoir un acte de naissance officiel et patenté. Un comble quand on doit souligner par ailleurs que des mouvements infiniment plus conventionnés, comme le classicisme par exemple, ne résultent finalement que d'un regard de spécialistes lancé a posteriori. Cela dit, on constate aussi que le surréalisme a dépassé en étendue géographique tous ses prédécesseurs y compris le romantisme. On lui trouve en effet des antennes au Japon comme au Mexique en passant par le Pérou, l'Égypte et bien sûr par de nombreux pays européens. Dans les faits, tout commence avec le manifeste signé par André Breton en octobre 1924. Certes, les choses sont un peu plus complexes, puisque le mouvement provocateur Dada avait affiché sa posture contestataire avec fracas dès le milieu de la guerre 14-18, mais il n'en reste pas moins que le groupe surréaliste lui-même se forme sur base d'une décision dûment enregistrée par les textes.

La Belgique va vite embrayer, d'autant plus vite d'ailleurs qu'elle possède de solides prédispositions dans le domaine: Fernand Khnopff, Maurice Maeterlinck, Degouve de Nuncques avaient fait passer un courant d'étrangeté [avant 1924] sur la Grand-Place2. Peut-être, l'influence dadaïste fut-elle ici plus discrète, néanmoins, dès 1920, Paul Joostens et Clément Pansaers (Le pan-pan au cul du nu nègre…) s'étaient déjà réclamés de ce type de provocation.

Plus avant, si certains traits évidents rapprochent les Belges des surréalistes français, on doit toutefois reconnaître aux premiers un plus grand détachement quant aux actions spécifiquement politiques, mais aussi par rapport aux oukases lancés par les pontifices maximi quels qu'ils soient. René Magritte lui-même se brouilla d'ailleurs à deux reprises avec André Breton… Cette volonté d'indépendance apparaît dans la démarche des poètes qui, tous, se révèlent marqués par une certaine originalité. Le Louviérois Achille Chavée constitue un bon exemple de cette tentation permanente de la voie propre lui qui, par ailleurs, se présentait, on l'a assez répété, comme un vieux peau-rouge qui ne marchera jamais dans une file indienne. Docteur en droit, fidèle jusqu'au bout au parti communiste et évoluant aux antipodes de Nougé, il manifestait une adhésion quasi fétichiste à l'automatisme psychique défendu par le pape Breton3. Il est vrai qu'issu du monde chrétien, Chavée conserva toute sa vie un besoin d'adhésion4. En réalité, il est avant tout un auteur complexe, original dans ses contradictions même, attentif à son époque et aux courants qui la traversent, mais qui, en définitive, a un style propre, un humour sarcastique personnel et recherche avant tout dans l'écriture un ineffable secret, une identité insaisissable, l'effacement d'une blessure originelle5.

Établi outre-Quiévrain, le surréalisme belge – et plus spécifiquement wallon, comme le souligne André Blavier – connut une belle vitalité attestée par une trentaine de revues. Parmi celles-ci, il faut citer Distances dans laquelle Paul Nougé affirme son dégoût par rapport à l'art6. Quand on examine les choses de près, on constate vite que l'histoire du surréalisme est émaillée par une multitude de cellules parfois éphémères, parfois antagonistes, souvent animées par les mêmes personnes. Ses dernières manifestations eurent lieu dans les années 1950 avant de connaître un éclatement en mouvements inspirés du surréalisme, mais d'orientations résolument différentes. Ainsi, Cobra fondé en 1948 par Christian Dotremont et consorts, le groupe Phantomas ou encore le Daily-Bul à La Louvière. En France, si l'école se dissout officiellement en 1969, des textes et des œuvres bien dans le sens de son inspiration initiale continuent à se publier et à voir le jour longtemps après.

Pour en revenir à une approche chronologique simplifiée, on peut rappeler que le surréalisme belge proprement dit emprunta très tôt deux directions différentes. Dès 1927, un premier groupe se constitua à Bruxelles autour de Paul Nougé, Camille Goemans, Marcel Lecomte, André Souris, René Magritte, Édouard-Léon-Théodore Mesens, Louis Scutenaire et Paul Colinet. C'est à partir de cette année aussi que des liens se nouent entre les poètes de la revue Correspondance (Goemans, Nougé, Souris…) et des peintres comme Magritte. Cela fera dire, avec raison, à certains que le surréalisme belge possède, et ce dès le début, des liens plus étroits qu'ailleurs avec la peinture. Sans doute, entend-on surtout bâtir la révolution - révolution contre le monde qui nous échoit, contre le «donné», contre «tout», dit Marcel Mariën -, mais la position centrale formulée par Nougé se résume en une éthique appuyée sur une psychologie colorée de mysticisme7. Certains artistes comme Christian Dotremont et Paul Bourgoignie essaient bien de concilier surréalisme et marxisme, mais, lancé avec Magritte au lendemain de la guerre 40-45, leur groupe surréaliste révolutionnaire se dissout dès 1948.

La seconde mouvance, dite du Hainaut, naît à La Louvière en 1934 et se montre d'emblée plus proche de la doctrine bretonienne. Sous le nom significatif de Rupture, l'association se forme notamment autour d'Achille Chavée, André Lorent, Albert Ludé et Marcel Parfondry. Ceux-ci seront vite rejoints par d'autres artistes comme Pol Bury, Armand Simon, Fernand Dumont et Marcel Havrenne. Le collectif avoue deux buts principaux: le désir de «tremper les consciences révolutionnaires» et celui de «contribuer à fonder une morale prolétarienne»8. Si le groupe se détache de l'autoritarisme, ses buts paraissent avant tout politiques. 1935 sera l'année la plus faste de Rupture qui organise une exposition surréaliste en Hainaut avec des toiles de Magritte, mais aussi Chirico, Arp, Dali… Boudée par un public assez peu préparé il est vrai à ce genre d'événements, cette manifestation sera aussi l'occasion d'un des rares rapprochements avec les Bruxellois. Mais déjà la fin de l'aventure apparaît en germe. Fernand Dumont se range aux préoccupations plus artistiques de Bruxelles, tandis que Chavée se positionne sur le terrain de l'action et s'engage en 1937 dans les brigades internationales en Espagne. Début 1939, la séparation entre staliniens (Achille Chavée et Fernand Dumont) et trotskystes est patente. Une nouvelle tentative surréaliste en Hainaut (autour de revues comme L'invention collective et Mauvais temps) sera stoppée par la guerre. Fernand Dumont disparaîtra d'ailleurs dans l'enfer concentrationnaire de Bergen-Belsen.

Après les hostilités, Chavée reprendra ses activités politiques et littéraires en collaborant à de très nombreuses revues. À l'occasion du cinquantième anniversaire du poète, une réunion tenue à Ressaix-lez-Binche le 10 juin 1956 permet la constitution du groupe Schéma qui rassemble des anciens de Rupture, tels Lefèbvre et Parfondry, mais aussi bientôt des nouveaux venus comme le peintre et poète Freddy Plongin, l'écrivain Arsène Gruslin, les poètes Léon Drugman et Paul Michel, ainsi que, précisément, Remy Van den Abeele: Ultime tentative de rassemblement d'un groupe surréaliste - ou surréalisant – en Hainaut, Schéma apparaît, à distance, comme la preuve intangible de la difficulté des Hennuyers à s'incarner en un bulletin ou une revue, et montre assez combien en 1934, une conjonction de circonstances – la crise politique, la montée du fascisme, l'attrait chez quelques jeunes hommes pour le surréalisme et la personnalité d'André Breton – purent pour un temps très bref favoriser l'éclosion d'un groupe surréaliste en Hainaut9. Dans les années cinquante, cette conjoncture n'existait plus et la situation politique, économique ou sociale était infiniment différente de celle d'avant la guerre, pour cela, Schéma ne fera pas long feu et sera dissous dès le 5 mai 1957.

Malgré la fugacité de son existence officielle, on constate toutefois que c'est à cette dernière poussée de surréalisme que se rattache plus spécifiquement Remy Van den Abeele. Après ses études à l'académie des Beaux-Arts de Mons, il est initié au surréalisme par Marcel Parfondry et expose ses toiles à Binche en 1952. En outre, il rejoint Schéma, on l'a vu, dès la création du groupement en 1956. En 1961, Van den Abeele crée la couverture du «Surréalisme en Wallonie» pour Savoir et Beauté, une revue publiée par le Centre culturel du Hainaut, et assure la direction de Tendances nouvelles à La Louvière de 1961 à 1968. En 1972, un film sur son œuvre, Remy Van den Abeele au Soleil de la Mi-Nuit, est réalisé par Jean Louthe avec un commentaire de Louis Scutenaire lu par Irène Hamoir. Le peintre a rencontré ces deux figures marquantes en 1960 et une amitié durable est née entre eux. Scutenaire a donné leurs titres à plusieurs de ses peintures et il avait acheté quelques-unes de ses toiles dont le nu Mon ami (1970). Van den Abeele avait en outre fait un portrait du Scut que l'intéressé jugeait d'une exactitude tant extérieure qu'intérieure10. Sans que cela ne l'oppose à Chavée, chez Scutenaire, le maniérisme du langage trouve d'évidents développements dans les méandres du récit autobiographique et aboutit à son efficacité maximale dans ses notations au jour le jour que constituent les Inscriptions11.

On constate que Van den Abeele a été proche de deux figures marquantes du surréalisme, figures reliées cependant aux mouvances bruxelloise et hennuyère. De fait, Chavée et Scutenaire ont tous les deux écrit sur ou pour Van den Abeele qui les a également peints l'un et l'autre. Ce chassé-croisé entre peinture et littérature donne une belle preuve d'adoption pour quelqu'un qui, notons-le, prend place en marge des clivages régionaux.

Se pose enfin la question de l'appartenance de Van den Abeele au surréalisme. On sait combien cette question, pour vaine qu'elle semble quand on la prend de l'extérieur, a souvent requis les tenants du mouvement. Sans trop de contestations possibles, les motifs choisis par le peintre, sa façon de les traiter, l'inscrivent dans le sillage des artistes dûment labellisés surréalistes. Il reste que les grands manitous et les gardiens du temple n'ont eu de cesse d'émettre un bémol quant à cette adhésion à cause de l'engagement profondément chrétien dont Remy Van den Abeele faisait par ailleurs état et qui apparaît souvent dans son œuvre (ainsi sa Cathédrale ou son Examen de conscience). Dans un livre qu'elle lui consacre, sa fille, Chantal Van den Abeele, résume bien les choses: Il est vrai que la plupart des critiques classèrent son œuvre dans le mouvement et cela sans restriction. Mais comme la doctrine surréaliste s'oppose radicalement à toute croyance, on ne peut logiquement admettre une telle position. Van den Abeele n'est pas surréaliste au sens bretonien du terme, il est chrétien… au sens chrétien du terme12. Au passage, on relèvera cette étrange position surréaliste qui s'appuie sur une doctrine pour affirmer son rejet de toute croyance… Il y a là un paradoxe que la logique poussée à l'extrême a bien du mal à accepter, mais qui n'étonne pas trop dans une mouvance assez portée aux antagonismes internes.

Dans une interview, le principal intéressé règle les choses de la façon suivante: Je constatai en lisant le Manifeste de Breton que j'étais en accord avec les principes fondamentaux du surréalisme. Ce à quoi il ajoute toutefois: Je suis venu au surréalisme sans le savoir… En fait, surréaliste ou pas, quelle importance? La plupart des critiques me classaient parmi les surréalistes… et si d'aucuns estimaient que j'étais plutôt cavalier seul, cela ne m'affectait pas13.

Texte Paul Mathieu